Stellaris, interlude: Le Tyran et l'Amibe
- Garga Lenoir
- 23 mai 2022
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juil. 2022

Ceci ne fait pas vraiment partie du Let's Play, c'est une petite nouvelle que la rencontre avec l'amibe m'a inspiré et que j'ai posté dans notre section roleplay.
- Arrêt holodrame, ordonna la capitaine Visrune avec humeur.
Les images holographiques diffusées dans l’eau remplissant la pièce disparurent, et la
bioluminescence ambiante revint à la normale. Seul restait un menu listant les holodrames
disponibles, que Visrune regardait d’un oeil mauvais. Tous les officiers de son vaisseau avaient à
leur disposition les dernières créations de Turbo Narration Médias, succursale du COGIP. Ces
dernières années, le thème principal des holos était l’aventure spatiale, à la fois pour encourager
le public à y participer et parce que c’était ce qui se vendait le mieux. Seulement voilà, presque
toutes les histoires tournaient autour des combats héroïques des flottes-vagues, ou les
découvertes aventureuses des vaisseaux scientifiques.
La vérité ? Les trois seules corvettes en activité n’avaient jamais rien affronté de plus
menaçant que des drones d’exercices, et l’équipage d’un des deux vaisseaux explorateurs était en
train d’essayer de convaincre le Comité de Direction COGIP qu’ils avaient employé leurs
dernières semaines à bon escient à analyser un signal venant d’une planète inhabitée, qui serait
soi-disant une chanson laissée là par des aliens inconnus. Très convaincant, se disait Visrune.
Qu’en était-il de son vaisseau ? Le Tyran du Cosmos était unique en son genre. Une
merveille technologique, de la taille d’une ville. Composé intégralement d’alliages catalytiques
semi organiques. Mais c’était un vaisseau de construction. Donc il ne faisait pas rêver. Il n’y
avait eu que quelques documentaires à son sujet. Son vaisseau était « juste » en train de
construire une station spatiale autour de l’étoile du système solaire Mathrop, qui étendrait
considérablement le territoire Enkathien. Rien d’assez épique, apparemment.
Visrune inhala un peu d’air au petit dispensaire à côté de sa porte, et nagea dans le
corridor pour se changer les idées. La bioluminescence venant des parties organiques des alliages
était basse, pour simuler un cycle de nuit. Sa promenade nocturne fut interrompue quand elle
réalisa quelque chose n’allait pas. Malgré les compensateurs inertiels, elle sentait que le Tyran
avait brusquement quitté son chantier de construction et accélérait. Sans surprise son
communicateur se déclencha.
- Capitaine sur le pont ! Contact détecté, en approche rapide !
Visrune nagea à toute vitesse par un des tuyaux réservés aux officiers qui menait droit au
pont.
- Rapport, ordonna-t-elle simplement à son second.
- Contact organique en approche capitaine. Massif. 800 km de long, 300 de large. J’ai ordonné
un désengagement en direction de Ljos, mais le contact est plus rapide que nous. Il est à 30 000
clics. Nous ne pensons pas pouvoir atteindre l’hyper-route à temps.
- 30 000 ? répondit Visrune, horrifiée. Pourquoi n’avons-nous pas réagi plus tôt ?
- Nous… Nous n’avons pas reconnu le danger. Le contact était plus difficile à détecter sans
alliage, et s’est dissimulé derrière des planétoïdes aussi longtemps que possible.
Le second était penaud, mais Visrune luit d’un bleu apaisant pour lui signifier qu’il n’était pas en
faute. Quoi qui leur arrive dessus, ce contact voulait bel et bien les attraper. Visrune n’altéra pas
ses ordres, fuir restait la meilleure option. Le vaisseau de construction n’était pas vraiment armé,
et elle devait penser à la sécurité de ses milliers d’occupants.
Elle envoya cependant un message en direction de Ljos, à la plus grosse priorité à laquelle
elle avait accès. Il irait droit dans le communicateur personnel de la Révérende-Gouverneure Darwi, mais Visrune ne se faisait pas d’illusion. Le temps que les corvettes arrivent, il serait bien
trop tard.
La course poursuite continua sur les jours suivants. Visrune avait annoncé à l’équipage
que le Comité de Direction avait changé leurs ordres et qu’ils devaient retourner à Vagga.
Inutile de les affoler.
Les officiers étaient professionnels, mais stressés. L’attente était difficile pour tout le monde.
Personne n’en parlait, mais chacun se demandait s’ils étaient déjà tombés sur la mystérieuse
cause de la ruine du Premier Empire Enkatha. Finalement le contact fut suffisamment proche
pour les détromper sur ce point.
- Contact à portée visuelle capitaine.
- En holo.
Tous les officiers sur le pont levèrent les yeux vers l’espace de diffusion. L’eau y devint noire,
puis les étoiles et planétoïdes apparurent. Enfin une créature pixelisée devint visible. Ses traits
s’affinèrent au fur et à mesure que l’ordinateur de bord extrapolait sur les informations reçues.
- C’est… C’est une méduse ? demanda Visrune, qui avait du mal à croire ses yeux.
- Je dirais une sorte d’amibe, capitaine, répondit le second. Si vous voulez mon avis, si les
citoyens à la maison espéraient qu’on ramène des images qui les dépayseraient de nos océans, ils
seront déçus.
Visrune hocha la tête.
- Par chance nos océans n’ont pas d’amibes de cette taille. Au moins si c’est une créature vivante
elle n’aura probablement pas de projectiles…
La forme massive de l’amibe spatiale serait bientôt visible à l’oeil nu par les hublots, et Visrune
révéla la vérité à l’équipage, et déclara l’alerte noire. Tout le personnel non essentiel se vit
confiné dans ses quartiers.
- Peut être qu’elle est juste curieuse et qu’elle ne va pas attaquer… théorisa le second.
Comme pour le détromper, quand l’amibe ne fut qu’à quelques dizaines de kilomètres du Tyran,
elle lança un flagelle en sa direction. Le pilote parvint à manoeuvrer l’énorme vaisseau hors de la
trajectoire, mais d’autres flagelles étaient déjà en route.
Visrune aida son pilote dans ses manoeuvres, mais elle savait que c’était peine perdue. L’amibe
possédait des centaines de ces flagelles. Elle se demandait même pourquoi elle ne les lançait
qu’au fur et à mesure que le Tyran leur échappait, plutôt que toutes simultanément.
- Nous sommes touchés ! Cria le second inutilement. L’un des flagelles avait réussi à saisir
l’un des bras principaux du Tyran, et commençait à serrer. Le choc de la décélération ne pouvait
pas être entièrement annulé par les compensateurs inertiels, mais Visrune avait donné l’ordre
que tout le monde s’arrime à quelque chose, sans quoi ils auraient été projetés à tous les coins du
pont. Les caméras extérieures transmettaient les dommages en holo, et Visrune voyait avec
horreur le métal organique de son vaisseau plier et céder sous la pression du flagelle. De l’eau
s’échappa dans l’espace avant que les champs de force de secours ne scellent les énormes
fissures. Visrune savait que l’amibe n’avait qu’à abattre ses autres flagelles ou utiliser son énorme
bouche pour finir le travail… Elle réalisa soudain que son vaisseau aurait finalement son
holodrame gros budget: un holo catastrophe! La destruction de son équipage serait recréée pour
faire pleurer dans les habitats. Elle ou son second serait réinventés en dangereux incompétent
pour donner quelqu’un à détester à l’audience…
Mais l’amibe ne les acheva pas. Au contraire, elle relâcha le Tyran, tourna sur elle-même,
et se mis à flotter dans la direction opposée.
Les officiers restèrent béats plusieurs minutes.
- Hé bien… Elle ne devait pas avoir si faim que ça, supposa Visrune sans vraiment y croire.
Le Tyran repris sa route vers l’hyper-route. Par chance il n’y avait pas eu de pertes, le bras ayant
été déserté durant l’attaque. Il y avait quelques blessés légers à l’infirmerie suite au choc. Mais
Visrune n’était pas tranquille. Elle suivait l’amibe sur le ladar. Elle s’éloignait du vaisseau, mais
au lieu d’aller en ligne droite elle faisait toutes sortes de détours inexplicables, se déplaçant en
zig-zag.
Au bout de quelques heures elle cessa de bouger, se tourna dans la direction générale du
vaisseau, et attendit. Moins d’une heure après, à la consternation générale, elle reprit sa route
vers le Tyran.
Une fois encore le pilote et Visrune firent de leur mieux pour échapper aux flagelles,
mais furent saisis. Le vaisseau était à moins de deux heures d’atteindre une des hyper-route, ces
corridors d’espace-temps où le voyage plus rapide que la lumière était possible. Cette fois
l’amibe installa une dizaine de flagelles sur le vaisseau, et se mis à le tirer avec elle en arrière.
Les rapports de dommages s’accumulaient, le vaisseau perdait de l’eau sur plusieurs ponts.
Visrune ordonna l’activation des moteurs sous-luminiques dans la direction où ils étaient
traînés. Quand le vaisseau se mis à bouger de lui-même, l’amibe relâcha la pression sur le Tyran,
sans entièrement le libérer. Elle ne les relâcha qu’après plusieurs heures. Les officiers étaient
épuisés. Visrune avait dû envoyer des équipes de réparation pour éviter des pertes d’eau trop
importantes, en espérant de tout son coeur que l’amibe ne les tuerait pas.
La créature tourna autour du vaisseau puis sur elle-même, et repartit de nouveau. Mais cette fois
ci personne ne s’imaginait que c’était pour de bon.
- Mais qu’est-ce qu’elle veut ? Demanda le second, avec plus d’émotion que le protocole ne le
permettait. Elle joue avec sa nourriture ? C’est du sadisme ? Capitaine le Tyran ne pourra pas
supporter ce traitement très longtemps !
Visrune savait qu’il disait la vérité, mais lui flasha quand même une lumière grise froide, pour
lui intimer de se reprendre. Elle se remit à étudier la trajectoire étrange de l’amibe, qui faisait
maintenant encore plus de détours, en se retournant régulièrement pour observer le vaisseau.
Visrune se demanda si elle avait une illumination ou subissait simplement un sévère manque de
sommeil, mais décida de suivre son instinct.
- Pilote, suivez le cap 4.150.7, vitesse maximale je vous prie.
- Capitaine, répondit le pilote surpris, ça nous amène droit sur l’amibe.
- Exactement.
Le pilote obtempéra, supposant que la capitaine avait un moyen de neutraliser la menace.
Quand l’amibe se retourna et vit qu’elle était poursuivie, elle montra plusieurs signes
d’agitation. Ses crêtes se mirent à vibrer, et elle tourna plusieurs fois sur elle-même, puis repris
son itinéraire en zig-zag. Quand le Tyran la rattrapa, elle se mis à tourner autour de lui, l’évitant
sans jamais trop s’éloigner.
- Dégagez le deuxième bras, ordonna Visrune. Pilote, je veux que vous feigniez une interception
par la droite. Second, transférez le contrôle du bras non endommagé à ma console.
Le pilote obtempéra, et effectua une excellente feinte. L’amibe corrigea sa trajectoire, tombant
dans le piège de Visrune, qui attrapa une de ses ailettes. L’énorme pince mécanique du Tyran se
referma avec une pression en milliers de bars. L’amibe s’immobilisa, et Visrune éclata d’un rire
lumineux. Les officiers étaient sidérés, à la fois de voir l’amibe apparemment neutralisée par un
bras mécanique qu’elle pourrait détruire sans effort, et que leur capitaine si taciturne se
permette pour la première fois d’exprimer sa joie par cette vive luminescence dorée.
- Hop, c’est toi le kraken ! dit-elle simplement, pour la première fois depuis sa petite enfance,
avant de s’expliquer plus en détail.
- L’amibe doit être une enfant séparée de ses parents. Elle nous a vu voler et a décidé de jouer à
l’un des jeux les plus universels !
Tout en parlant Visrune continua d’appliquer de plus en plus de pression avec la pince.
Elle savait qu’elle risquait de mettre en colère la créature. Finalement l’amibe hérissa ses crêtes,
et Visrune stoppa la pince. Maintenant elle savait comment signaler à l’amibe qu’elle pinçait
trop fort. Bouger les panneaux solaires ferait l’affaire.
Au bout de dix minutes l’amibe recommença à s’agiter. Visrune la libéra, et ordonna au pilote
de s’en éloigner le plus vite possible. Deux heures plus tard, la créature se remit à les poursuivre.
Le reste de la journée fut passée à jouer avec l’amibe. Quand Visrune expliqua à
l’équipage ce qu’il se passait, la tension fit place au rire. Les Enkathiens s’en amusèrent, pariant
sur combien de temps le Tyran parviendrait à éviter les flagelles, et combien de temps il mettrait
à attraper l’amibe à son tour d’être le kraken. Même les officiers se prenaient au jeu, échangeant
des idées pour améliorer les performances du vaisseau à ce jeu d’enfants. Visrune toléra avec
grâce ce manque flagrant de protocole, soulagée que le vaisseau soit toujours en une pièce et
satisfaite des performances de son équipage.
Finalement au lieu de repartir après avoir attrapé le Tyran l’amibe resta à côté du
vaisseau. Quand le vaisseau essaya de se remettre en mouvement, elle le suivit paisiblement.
- Je crois que nous avons enfin épuisé la petite, capitaine, annonça le second. Est-ce que vous
pensez qu’elle nous laissera utiliser l’hyper-route ?
- Quelque chose me dit qu’elle va même nous suivre au travers. Elle semblait être capable de
détecter que nous allions en utiliser une, et elle ne doit pas être native de ce système. D’une
façon ou d’une autre elle doit avoir un équivalent de nos moteurs PRL. J’ai eu confirmation du
Comité qu’ils acceptent qu’on l’amène dans le système Ljos, à distance raisonnable de Vagga. Ils
pourront remplacer les membres d’équipage blessés et remplir nos stocks. Actuellement le
comité de direction décide de ce qu’ils vont faire d’elle.
- Est-ce qu’ils ont déjà une idée de son sort ? demanda le second. Visrune nota une certaine
inquiétude sur le visage de ses officiers pour la créature qui les terrifiait il y a encore une
journée. Visrune leur fit un sourire orangé pour les rassurer.
- Apparemment ils penchent très majoritairement sur son adoption en tant que mascotte
officielle de la COGIP ! La Révérende Gouverneure me dit qu’ils discutent même déjà du nom
qu’ils pourraient lui donner.
Le Tyran finit par atteindre l’hyper route et activer ses moteurs PRL pour retourner à son
système solaire natal, suivi par son très curieux nouveau membre d’équipage. Quand le
soulagement d’avoir survécu retomba chez Visrune, son cynisme reprit le dessus, et elle réalisa
avec horreur que le Tyran du Cosmos allait bel et bien enfin avoir son propre holodrame gros
budget…
Et que ce serait une comédie familiale.
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